|  |   Elise Henneghien   Une des premières réactions est le dégoût. Non pas que  soient utilisés dans la sculpture d’Elise Henneghien des éléments organiques,  mais parce que ses productions sont, au moins pour moi, et passagèrement,  effroyablement laides. Ce n’est pas joli, ce n’est pas décoratif, ce n’est pas  virtuose, ça ne veut manifestement pas séduire son voisin. La sculpture ici répond  parfaitement à la définition qu’en donne Ad Reinhardt : « ce dans quoi on se  cogne quand on recule pour regarder une peinture ». La sculpture d’Henneghien est  en trop, un parasite, et le revendique.Mais il serait bien trop simple de considérer cela comme  un objectif. L’enjeu reste de se situer dans une tradition concrète, c’est-à-dire  de faire fi de ce qui est perçu au premier abord - souvent par réflexe plus que  par réflexion - comme de l’intelligence noble ou de la malignité. Alors, plus  que nihiliste, la sculpture d’Elise Henneghien est anarchiste et vise de fait  le renversement des hiérarchies en place. Plus précisément, elle ne vise pas la  suppression du discours, elle évite juste l’anecdote, la littérature, bref, le  paratexte : « what you see is what you get ». Ses matériaux emblématiques,  scotch et papier mâché coloré, ne sont pas magnifiés, le matière de la  sculpture ne renvoie qu’à elle-même, utile et presque, dans un but inconnu,  fonctionnelle.
 La production d’Elise Henneghien se démultiplie en d’infinies  variations. L’artiste joue la quantité. En art on fait parfois les choses parce  qu’on a envie de les faire, on déploie son énergie pour voir ce qu’on a envie  de voir, sans anticiper, sans prétextes ni messages, en suivant son instinct.  Le résultat est une production qui, par son caractère spontané, son faible coût,  et sa capacité à flatter nos plus bas instincts, a souvent été comparée au cinéma  B, ou encore dit « d’exploitation » : le film de zombies, d’extraterrestres, de  nones possédées par le Démon, de vengeances sanglantes, d’enquêtes aux crimes  graveleux, tourné à bas prix, vite fait, est destiné dans les années 70 aux cinémas  de quartiers et autres drive-in. La clientèle est fidèle et le cinéma de genre  est aussi populaire qu’il existe par une résistance crasse au marché. De la  strip-teaseuse décapitée et arrosée de sauce tomate, à l’assiette en carton  transformée en soucoupe volante, le plaisir est plus généré par une volonté d’autodérision  et d’efficacité que par un souci de profit, ou par un expressionnisme naïf.
 Pas d’art brut donc dans les sculptures d’Elise  Henneghien, mais l’empreinte d’une philosophie à la fois matérialiste, dans le  sens le plus marxiste du terme, et vitaliste, qui semble construite en dehors  du temps. Affronts au goût et à l’analyse structurelle (matériaux, formes,  gestes), elles renvoient vers l’éthique et le social toute considération trop langagière.
 
 
 
 ©2011 |