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          – Bon alors… L’art dans  	l’espace public ?…
          – Mmm… 
        
          – L’espace public c’est  	quoi ?
          – C’est très simple,  	c’est un espace qui peut être traversé par tout le  	monde. Alors évidemment la rue est un espace public. Mais  	aussi un parc, une place… C’est un espace qui appartient à  	la collectivité. Mais que cet espace appartienne à la  	collectivité ne veut pas dire que tout le monde décide  	de sa forme ou de ses fonctions. C’est toujours un petit groupe  	qui décide pour tout le monde de tout ça. 
        
          - ?
          – Alors la télévision  	peut être vue comme un espace public aussi, qu’on traverse  	de chez soi… Et puis pourquoi pas l’Histoire, des corpus de  	connaissances communes que chacun s’approprie, peut parcourir, dans  	lesquelles on peut s’arrêter, faire des pauses. Peut-être  	que la rue ou l’Histoire c’est la même chose : il y a  	un petit groupe qui choisit ses limites, ses directions…  
        
          – Alors pourquoi mettre de l’art  	dans l’espace public ?
          – Ben c’est l’espace de  	visibilité par excellence ! Si on veut que quelque chose  	soit vu par le plus de gens possible, on le met dans l’espace  	public. Vous voyez le rapport avec l’Histoire…Et puis la plupart  du temps, l’art est quelque-chose qui s’adresse à tout le  monde, ou plutôt à chacun, pris en tant qu’individu.  Même si on a une réaction intime à la musique, à  la peinture, au théâtre, l’art vise une communication  de masse. 
        
          – Et est-ce que tous les  	artistes prennent ça en compte ?
          – Pas forcément  	volontairement. C’est clair que, même quand l’artiste veut  	s’enfermer dans une sorte de tour d’ivoire, au dessus du monde,  	projetant sur le monde l’idée d’être  	fondamentalement incompréhensible ou incompris, il pense en  	termes de communication de masse, son travail comme étant  	destiné au monde entier, même si parfois son travail  	est destiné à un petit groupe. 
        
          – Alors l’art ce serait  	quelque-chose de fondamentalement collectif ?
          – Si on veut… 
        
          – Je me demande si on ne peut  	pas récupérer cet aspect collectif à des fins  	de propagande ? Utiliser l’espace public et la volonté  	universaliste des œuvres pour transmettre une idéologie ?
          – Evidemment ! L’art a  	souvent fonctionné comme ça. Historiquement en  	occident, c’est l’Eglise qui s’est faite produire le plus  	d’œuvres, en fin de compte pour sa propre gloire. Et comme ces  	œuvres avaient aussi une valeur éducative ou pédagogique,  	et parfois des dimensions spectaculaires, on peut vraiment parler de  	propagande. L’art a toujours servi de faire-valoir, ou alors on a  	tenté de détourner le savoir-faire ou l’impact du  	travail des artistes. Puis après les révolutions du  	XVIIIème siècle, c’est l’Etat qui a repris le  	flambeau. C’est peut-être toujours comme ça  	aujourd’hui. 
        
          – C’est très pessimiste  	comme point de vue. Un peu parano…
          – Je ne pense pas uniquement ça.  	Il faut considérer ces constats comme un point de départ  	possible ou une donnée historique parmi d’autres. Et  	bien-sûr on peut donner à l’art d’autres buts,  	d’autres déterminations. 
        
          – Bon, je vois où tu veux  	en venir. L’art procure du plaisir, des émotions, de la  	réflexion, des étonnements, et blablabla. Ca peut  	aussi être parfaitement décoratif, alors là ça  	a un rôle d’animation. Je veux dire au départ on a  	une surface plate, et puis après une œuvre vient animer  	cette surface. Ce rôle d’animation est valable pour tous les  	secteurs artistiques, à mon avis.
          – Mmm… Nous sommes quand même  	en train de passer à côté du principal. Parce  	qu’en dehors des différentes façons dont l’art  	peut être instrumentalisé, si j’ose dire, il a  	d’autres particularités. Il y a d’autres phénomènes  	qui différencient une peinture d’une machine à  	laver, il me semble… 
        
          – Comme ?…
          – Des significations. Je ne  	pense pas que Rimbaud puisse être réduit au récitations  	qu’on en fait à l’école primaire, c’est-à-dire  	à un de ses modes de diffusion, si tu vois ce que je veux  	dire… 
        
          – A peu près…
          – Ben l’art peut être  	très proche d’une forme de conditionnement parce qu’il  	est éduqué, choisi, influencé, commandité,  	diffusé dans des objectifs et avec des critères plus  	ou moins précis, mais existants. On se dit que c’est un  	vrai espace de liberté, mais c’est peut-être en tant  	que spectateur ou en tant qu’artiste que c’est le plus difficile  	d’être libre finalement. Partout on veut nous faire avaler  	du tout cuit.Je veux dire aussi qu’au départ il y aurait une forme  d’insoumission, de révolte, de colère qui surgit, et  qui viendrait peut-être de l’artiste. Et là ça  n’a rien à voir avec de la communication, contrairement à  que je disais tout à l’heure, c’est un coté  libérateur. Comme s’il avait deux tranchants. 
        
          – Une épée ?
          – Héhéhé… 
        
          – Je reprends : un pouvoir  	de communication qui peut être utilisé, mais qui peut  	aussi être dépassé par le coté rebelle,  	réfractaire de certains travaux.
          – Oui, on peut simplifier comme  	ça. C’est quand même un peu romantique comme point de  	vue… Mais l’intérêt c’est qu’on en revient à  	nouveau à ce qu’on disait tout à l’heure :  	l’art comme quelque chose qui engage le groupe, le collectif. Quoi  	qu’il en soit on ne sort pas d’une idée politique  	de l’art.  
        
          – Ah oui ! Alors tout le  	monde discute de musique, de cinéma, c’est important pour  	un groupe. On peut partager des avis… Je dis ça même  	si ce n’est pas très original.
          – Il y a d’autres choses.  	Parce que quand on regarde ces objets artistiques, disons-le comme  	ça, ils ont du sens. D’où viennent-ils et avec quoi  	ont-ils été faits ? De quoi parlent-ils   	justement ?Et puis, pour revenir à ce que je disais tout à  l’heure, l’usage qu’on en fait peut être analysé  d’un point de vue sociologique, psychologique, économique,  etc. Bref, l’art a quelque-chose de très proche de notre vie  quotidienne, de l’éthique, de nos actions, qui s’y réfère  sans arrêt, les questionne de près ou de loin. Je ne  suis pas très sûr, mais peut-être que ça  engage toujours les attitudes, les modes de vie de chacun et de nous  tous quand nous sommes ensemble. 
        
          – C’est bizarre, c’est  	rigolo de penser que ce que j’écoute comme musique, ce que  	j’accroche au dessus de mon canapé peut avoir des  	résonances de type politique. Qu’est-ce que ces objets  	contiennent ? Pourquoi j’ai choisi ceux-là et pas  	d’autres ? Pourquoi je les consomme, si j’ose dire, qu’est  	ce que je voudrais dire quand je les montre ?…
          – D’un autre côté  	évidemment tu n’es pas obligé de te poser toutes ces  	questions. Peut-être que ces objets te font plaisir et puis  	c’est tout ! De temps en temps  il faut remettre l’art à sa place, le situer au milieu de  toutes les activités humaines, et il y en a beaucoup qui  peuvent être importantes aussi… 
        
          – Oui, en fait je voudrais bien  	savoir pourquoi je prends du plaisir à une chose et pas à  	une autre et pourquoi ce sera complètement différent pour  	mon voisin ?
          – Je ne sais pas… 
        
          – C’est compliqué…         commande de  la ville de Mont-de -Marsant©2006 |