|  |   David  Evrard : more Playboy !   Le  fait est : j’avais entendu parler de David Evrard quelques années avant de  voir son travail ; mes recherches sur internet ne menaient à rien et les  exposés que j’entendais ou lisais ne m’expliquaient rien du tout. Le pire était  que personne ne pouvait me décrire sa pratique. Pourtant cette dernière était bien  dans la nébuleuse de mes centres d’intérêt, c’est pourquoi je suis heureux maintenant  de pouvoir tenter de vous expliquer pourquoi j’accorde de l’importance au travail  de cet artiste. Deux  pré-requis peuvent permettre d’éclairer sa pratique, en même temps qu’ils  rendent compte, paradoxalement, de la difficulté à la synthétiser. D’abord,  fait courant, David Evrard n’a pas de matériau de prédilection. La variété des  techniques qu’il emploie (sculpture, peinture, collage, écriture, travaux  imprimés, photographie, « photoshopages ») est multipliée par celle  des supports (livres, magazines, expositions, travaux dans l’espace public),  laquelle se perd parfois dans des productions aux statuts bizarres (posters  pour portes, bancs, cabanes, illustrations). Au final, on a certainement un  artiste qui vise à élargir et peaufiner sans relâche ses capacités  d’improvisation et d’adaptation, qui, pour cela, fait feu de tout bois, mais  qui prend certainement aussi un malin plaisir à botter en touche des  contraintes qu’on lui impose.D’autre  part, Evrard travaille la plupart du temps en groupe, en meute, en binôme, en  couple, en insert, ce qui ne le rend pas plus difficilement identifiable, mais  beaucoup moins « repérable » à distance. Son travail ne disparaît pas  dans la signature collective, il perd simplement une partie de sa traçabilité. Par  exemple David Evrard  fait partie des  groupe Potential Estate1 et Six Snakes and Triangle2,  a monté la revue Joe Dalton, est une figure parallèle et fidèle du groupe de  commissaires d’exposition Komplot et a participé activement aux expériences de By Accident et Y-the black issue. Il agit à couvert, et ce n’est pas une stratégie,  c’est un « mode de vie ».
 Avec  un peu de recul, on serait plutôt tenté de parler d’une pratique proche, dans  ses dispositions, de la musique. Car l’improvisation et le travail sous des  noms de groupes nous projettent autant du coté du jazz ou du rock progressif  par exemple, qu’ils nous éloignent des étiquettes et des spéculations égotiques  de l’art contemporain.
 
 Cerise  sur le gâteau, David Evrard est belge. Il n’y a aucun intérêt à faire porter  des drapeaux aux artistes, mais, à titre d’hypothèse, on peut supposer qu’il a  été nourri aux Ensor, Magritte, Broodthaers, Mariën, Lizène, Nyst, Godin, Charlier,  Lennep, Geys, Bijl, etc.3 La barrière entre l’art et la vie est plutôt mince tant la plupart de ces  artistes aiment se mettre en scène ; tant, volontairement ou non, ils ont  créé un mystère autour d’eux, mêlant leur œuvre et leur personnage. En outre le  principe de personnage colle mal à ces approximations pseudo-folkloriques :  David Evrard ne joue pas un rôle, il ne simule rien, il n’acquiesce par  conséquent pas à l’idée de « fictionnalisation » de sa vie  quotidienne ou de son travail. Car il n’y aurait peut-être qu’un réel, dont  fait partie l’art, et ce serait le même pour tout le monde, imparfait. Le  mythe, c’est autre chose, c’est une façon de se raconter des histoires.
 Autre  point important de la « belgitude », une volonté latente de ne pas  trop se prendre au sérieux, à donner l’impression de toujours agir par dessus  la jambe, ce qui rappelle un fameux proverbe taoïste : « Ce n’est pas  parce qu’on dit quelque chose d’intelligent qu’on est obligé de faire la  gueule ». Il serait possible d’être désinvolte et sérieux à la fois.
 
 Le  travail d’Evrard vu dans son ensemble, comme dans le détail, s’apparente à un collage.  Et devant la quantité de pièces réalisées, et après avoir rencontré l’animal, on  découvre que le bonhomme est, dans tout ce qu'il fait, un "serial".  C'est un colleur en série, un décorateur en série, un buveur en série, un  dessinateur en série, un sculpteur en série, et, comme le tueur en série, ses  actions relèvent autant du calcul froid et distant que de l'instinct sauvage. Ses  séries sont aussi compulsives qu’elles proviennent d’une jouissance aiguë de la  variation : accumuler puis faire glisser sans cesse les formes et les  matériaux, les placer dans un état instable, déséquilibré, dynamique, tenter  les montages loufoques, dans un plaisir qui est d’abord celui de la forme et de  la composition. L’activité et l’énergie dégagée priment. Le message et les  thèmes passent au second plan.
 Or, au  caractère hautement idiot d’une motivation plus subie que vraiment canalisée, à  une production dirigée par l’instinct, le goût, ou le délire, David Evrard  ajoute ses champs sémantiques propres, un catalogue coordonné, à défaut d’être  organisé ou raisonné. En effet, les images (ses matériaux de prédilection) sont  à l’origine filtrées méticuleusement, à partir d’un imaginaire populaire difficilement  cernable : le jus gluant et omniprésent des mass-medias. Le résultat c’est  le Facteur Cheval qui tourne Alerte à Malibu, des lapins géants qui discutent  avec des caravanes, des bottes de cowboys en verre ou des Bob l’Eponge qui  reluquent des fourchettes Second Empire en écoutant en boucle un morceau des Dead  Kennedys (quelques exemples ont été inventés).
 Et pour une fois, il n’est pas question d’archivage.  Il s’agit de souffler sur la poussière et de superposer des éléments  improbables, plutôt que de classer. L’artiste écrit : « Le truc c’est  la tête dans le sac. Le truc c’est qu’à un moment donné tout participe du truc.  Le truc, c’est l’absence de choix, et l’absence de choix, c’est la nécessité.  Le truc c’est quand on est tellement dedans qu’on s’éclaire de rapprochements  obscurs dans un cours qui ne l’est pas moins, que chaque élément, chaque  information, chaque indice est une expérience, bien plus que la manifestation  d’un stratagème soluble dans l’air du temps, ou une tactique pour voir  s’épanouir des formes. »4 L’idée de hiérarchisation ne doit pas apparaître, c’est même l’ennemi. Il faut  retranscrire tout ce qui nous entoure avec une hyper-subjectivité assumée, au  risque de frôler le chaos.
 Les images et les objets de David Evrard entrent alors  dans une étrange guerre idéologique, où chaque élément est hanté par ses  histoires, ses fonctions et ses sous-entendus. Car le détournement reste l’arme  du pauvre, une appropriation du langage et des codes dominants, hachés menu. Et  Evrard y ajoute une fascination et un respect qui ont plus à voir avec un premier  degré pop, gonfle ce dernier d’expériences hallucinatoires et d’érotisme, et y allie,  enfin, un désir de destruction, un plaisir dans la construction saugrenue et  collective.
 
 
 
        
            1 http://www.potential-estate.org/  
          2 Six Snakes and  Triangle : http://www.youtube.com/watch?v=lg0z-kuJWuA  
          3 « Si je peux me  permettre, dans les influences belges : Ensor, Magritte, Broodthaers, Mariën,  Lizène, Nyst, Charlier, Lennep, Geys, Rik Wouters, Fernand Khnopff, André Balthazar,  Pol Bury, Jef Lambeaux, Jean Delville, André Franquin, Adamo, etc. » David  Evrard, email du 5 juin 2010. 
          4 In Big Minutes, 02 n°50,  2009.     
 I scream, you scream, we all scream for ice cream.mobilier   pérenne, Le Confort Moderne, Poitiers, 2010
 photographie de David Evrard
         pour la revue Particules n°29, ©2010 |